En pleine vendanges, la filière des Vins d’Alsace a été lourdement sanctionnée par l’Autorité de la Concurrence au motif des pratiques de l’interprofession du Vin d’Alsace en matière d’orientation des prix de raisins. Rappelons le montant des sanctions :
- AVA : 26 000 €
- GPNVA : 2 000 €
- CIVA : 348 000 €
- Total 376 000 €
Après le choc initial, il convient maintenant d’analyser ce jugement avec distance.
Tout d’abord, notons que la décision est documentée par une étude approfondie et détaillée. Nous avons analysé ce document sous deux clefs d’entrées, celle des organismes et celle de l’objet. Chaque point de contestation est étayé par de nombreux compte-rendus, et extraits comme le montre le tableau ci-dessous.
Organisme | Période | Objet | Justificatifs |
Commission paritaire AVA-CIVA | 2008-2012 | Entente préalable et accord sur les prix des raisins, Contrats types d’apports favorisant un prix unique | 24 compte rendus |
Conseil d’Administration AVA | 2011-2017 | Echanges sur les prix entre les 3 organismes : AVA – CIVA – GPNVA | 27 compte rendus |
AVA | 2013-2016 | Publication des recommandations concernant les prix des raisins dans la Revue des Vins d’Alsace | 4 Extraits |
Comité et Assemblée Générale GPNVA | 2013-2017 | Rappel de l’interdiction de l’entente sur les prix : 2015 Val de Loire 2017 Rhône | 9 comptes rendus |
CIVA | 29-avr-13 | L’Administration confirme qu’on peut publier un constat passé des prix mais pas les orienter | 1 compte rendu |
26-janv-16 | Rappel : fixation des prix interdite constat du passé autorisé | 1 compte rendu |
Il en ressort que la qualité du dossier de 100 pages est telle qu’il est inutile de perdre de l’énergie et de l’argent supplémentaire à vouloir le contester. Par contre, nous encourageons bien évidemment le CIVA à explorer les possibilités d’une voie de négociation en vue de diminuer le montant de l’amende.
Au-delà des postures musclées et des discours ambiants de « victimisation » tenus par le syndicalisme viticole, il y a un élément qui doit nous faire réfléchir.
L’Autorité de la Concurrence affirme « En élaborant et diffusant des barèmes de prix, un syndicat professionnel ou une organisation interprofessionnelle incite ses adhérents à se détourner d’une appréhension directe de leur stratégie commerciale et d’une détermination indépendante de leurs prix et fausse les négociations avec les clients. »
Le Cercle Gustave Burger ne cherche pas à savoir à qui profitait cette incitation. Il faut bien avouer que pendant ces décennies le système convenait peu ou prou à toute la filière. A la décharge des organisations, tant que le Vin d’Alsace était totalement massifié dans les années 80- 90, on peut admettre que les coûts de productions du raisin étaient grosso modo relativement homogènes d’une entreprise à l’autre.
Il n’en est plus de même depuis les années 2000. Le vignoble s’est considérablement diversifié. Conventionnel, bio, bio dynamie, mis en place des vins de lieux, vins natures, etc…Les circuits de distribution se sont aussi diversifiés et connectés. La baisse politique et naturelle des rendements gomme aussi les différences entre cépages. Il n’est plus justifié qu’un raisin issu d’une jeune vigne de Gewurzt soit plus cher que celui d’une vieille parcelle de Sylvaner. D’ailleurs ce mécanisme ne serait-il pas en grande partie responsable de l’abandon de ce dernier cépage par exemple ?
La nature elle-même nous démontre depuis 10 ans que le coût de production est significativement impacté par l’endroit où le raisin est produit. Aujourd’hui, cultiver du Riesling n’est pas la même chose selon qu’on soit viticulteur à Niedermorschwihr, dans la Hardt de Colmar ou dans des pentes douces argilo-calcaires.
En orientant un prix du cépage, le système empêche et au mieux nivelle la valeur fondée quel que soit le lieu de production. Cette situation est particulièrement cruelle pendant la phase de transition des exploitations, avant que la force de leur signature ne permette de compenser ce frein.
On peut donc légitimement admettre que le système est obsolète depuis un moment.
Comme le décrit bien le journal « Le Monde » ce Vendredi 16 Octobre, les vignerons d’Alsace ont la gueule de bois. Force est de constater que l’édifice se lézarde et qu’il est grand temps de mettre en œuvre une vraie ambition collective et globale de montée en gamme grâce aux crus et aux villages.